Pernon Cherbaz

La « sorcière de Pully », en 1638

Lecture à voix haute

« Depuis des années, la peste et divers malheurs s’abattent sans cesse sur Pully, c’est terrible ! Pire, mes voisins, par ignorance, y voient l’œuvre du diable… Rapidement, des rumeurs ont circulé et je me suis retrouvée accusée de sorcellerie, alors que je me contente de préparer, parfois, quelques remèdes naturels… Mon calvaire a commencé lorsque l’on m’a dénoncée aux autorités. On m’a enfermée, interrogée et torturée dans le cachot du château Saint-Maire à Lausanne. Les châtiments m’ont arraché des aveux : j’ai dit que j’avais empoisonné des animaux, fait du tort à mes voisins et même signé un pacte avec le diable… Demain, on m’enverra au bûcher. »

Du XVe au XVIIIe siècle, l’Europe est marquée par une vaste répression de la « sorcellerie ». En Suisse, durant ces quatre siècles, le nombre de procès pour sorcellerie est estimé à 10’000, soit près d’un dixième du total européen ! Dans le pays de Vaud plus spécifiquement, on dénombre plus de 1’700 condamnations de 1580 à 1655, période durant laquelle les procès pour sorcellerie ont connu un pic.

La plupart concernent des femmes, mais des hommes se sont également vus accusés, notamment pour sodomie. Souvent, un seul témoignage crédible suffisait à envoyer en procès la personne accusée ; les chances d’être innocenté étaient faibles. Dans des populations illettrées et sensibles aux croyances, la première cause de dénonciation se dissimulait fréquemment dans les conflits de voisinage. Ceux-ci pouvaient être liés à des phénomènes plus vastes, comme l’apparition d’épidémies ou de famines, particulièrement nombreuses à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle.

Le cercle magique
Figure 6.1 : John William Waterhouse, Le cercle magique, 1886, huile sur toile, 183 x 127 cm, Londres, Tate Britain.

À Pully, on connait le cas d’une femme accusée de sorcellerie et condamnée au bûcher : Pernon Cherbaz. En 1638, Pernon Matthé, femme de Pierre Chappuis, alias Cherbaz de Pully, est obligée d’admettre « avoir pris le diable pour maître et fait mourir gens et bêtes ». Le diable lui aurait remis une graisse nauséabonde, qu’elle aurait ensuite donné à ses animaux et avec laquelle elle aurait empoisonné ses voisins, causant leur mort à tous. Interrogée et torturée, elle finit par avouer ce qu’on lui demande d’avouer. On lui détecte même sur le coude la « marque du diable », une griffure. La cour criminelle la condamne alors au bûcher. Son exécution s’est déroulée le 18 août 1638, à Vidy.

Marque du diable
Figure 6.2 : Représentation moderne (XIXe s.) de la torture et de la recherche de la marque du diable. Gravure sur bois d’après un dessin de Ferdinand Piloty (1828-95).

Plusieurs « études » ont accompagné la chasse aux sorcières. Outre le fameux Malleus Maleficarum ou Marteau des Sorcières (1486), qui tente d’expliquer la sorcellerie et qui indique comment lutter contre ses pratiquants, les inquisiteurs pouvaient s’appuyer sur les Errores Gazariorum seu illorum qui scobam seu baculum equitareprobantur ou Les erreurs des Gazarli, soit de ceux qui se déplacent chevauchant un balai ou un bâton, traité du XVe siècle également, probablement rédigé dans nos régions. Il s’agit du premier texte qui imagine les sorcières enfourcher un balai ou un bâton pour se rendre au sabbat. Ce dernier aurait consisté en un rassemblement nocturne et clandestin destiné à rendre un culte au diable.

Sorcier et diable
Figure 6.3 : Satan baptise un nouveau sorcier. GUAZZO, F. M., Compendium maleficarum, Milan, 1608.

Au XVIIIe siècle, les procès pour sorcellerie se raréfient, notamment en raison du renforcement de la philosophie rationaliste, ainsi que du morcellement moins marqué des pouvoirs régionaux, permettant un meilleur contrôle sur les cours de justice. Le pouvoir bernois régule par exemple les incriminations pour sorcellerie, considérant cette dernière comme une entrave à la religion et aux bonnes mœurs et non comme un crime. La dernière exécution pour sorcellerie en Suisse, celle d’Anna Göldi, a eu lieu en 1782 à Glaris.

Sorcières au bûcher
Figure 6.4 : Exécution de sorcières au bûcher.

Jugées plus faibles et plus crédules, renvoyées à la figure d’Ève, les femmes ont souvent été la cible de nombreuses accusations. Celle de pratiquer la sorcellerie et de succomber au diable cachait souvent frustrations, jalousies et revanches personnelles. De nos jours, la figure de la sorcière est au contraire souvent reprise pour en faire le symbole positif de la lutte pour les droits des femmes.

Arrêté à l’encontre de Pernon Cherbaz :

« Pernon Matthé femme de Pierre Chappuis alias Cherbaz de Pully, detenue prisonniere pour ses malefices et sorcellerie, ayant confessé avoir renié Dieu nostre Createur et prins le diable pour son maistre, et avoir faict mourir gens et bestes. Elle a esté jugée et sentencée par les Nobles et Bourgeois de la ruè de Bourg, à estre mise entre les mains de l’executeur de la haulte Justice et conduicte selon l’ordre au lieu appellé la Chamberonnaz, et illecq bruslée vifve, et ces cendres jetées au vent pour monstrer exemple à semblables malfaicteurs, ses biens confisquéz au seigneur de jurisdictions riere lesquels se trouveront gisants, sauf réservé le droict d’aultruy et legittime d’enfant, sauf aussi la grace de Leurs Excellences si elle intervient. »